vendredi 3 octobre 2008

Prendre femme. Où l'on voit l'union entre l'être et le signifiant.


Je suis un piètre auteur. Aucune chose de ce monde ne m'est inconnue, j'ai plus de savoir qu'on n'en a oncques imaginé. Et pourtant, je n'en puis rien faire. Les connexions entre les choses m'échappent. Je ne puis lier l'une à l'autre ; un flux d'idées et de mots traverse mon esprit sans qu'il puisse les ordonner. Aussi dois-je à l'avance récuser toute vanité et avouer que le récit de mes actes sera à l'image de mon intelligence. Nul temps, nulle chronologie, il n'y aura que des instants.


Je sais qu'il tarde au lecteur de connaître ma femme, la Duchesse de la Trémoille. Je ne sais dans quel bouge immonde elle erre ces jours-ci. Ne pouvant supporter la voir faillir plus longtemps à son devoir, je vais m'en acquitter à sa place. Sans doute le regrettera-t-elle.

Parvenu à l'âge de vingt ans, il m'a fallu chercher femme. Mon père était en effet vieillissant et ma mère ne pouvait lui survivre sans être entourée d'une nouvelle famille. J'avais déjà maintes fois goûté la chair féminine, et je l'adorais. Jamais repu de ces tendres extases, il fallait que je trouvasse femme digne de contenter mes ardeurs insoumises.

L'on me parla de trois jeunes filles, de naissances inégales mais toutes pleines de charmes exquis, qui pourraient convenir à mes exigences impérieuses. L'on n'achète pas un pâté sans connaître son goût, et ainsi devrait-il en être pour les femmes. Il me plut donc de les goûter chacune avant de me prononcer.

La première s'appelait Marguerite, de naissance un peu basse mais tout de même acceptable. Son père était comte, et riche au demeurant. Je lui rendis visite un soir chez ses parents, à l'occasion d'un dîner. Placé à table à côté d'elle, comme un éventuel gendre qu'il faut chérir, je pus me livrer à une inspection presque totale. La cuisse était bien rose, tendre, et la motte délicieusement taillée. Seulement il apparut que cette demoiselle, que j'aimais déjà à l'excès, fut particulièrement farouche lorsque le tour de ses seins fut venu. Peut-être était-ce dû à la proximité de ces reliefs avec les regards des conviés. Outré que l'on puisse me refuser l'accès à de telles merveilles (car elle était vêtue de manière à promettre beaucoup), je considérai cette jeune fille indigne de moi.

La seconde se prénommait Camille. Sa naissance était des plus hautes. Qu'on en juge : son père était duc, bien que d'un rang dans la préséance tout à fait inférieur au mien. Je tâchai d'en obtenir un rendez-vous secret, et un des mes valets, Aulne du Bourdon, emporta bien vite l'affaire, tant la renommée de ma beauté était grande. Cette jeune fille se rendit donc dans mes appartements, par une porte dérobée dont seul mon valet, outre moi-même, connaissait l'existence. Je fus quelque peu choqué lorsque je vis l'apparence de Camille. Elle était fort grande, elle avait les épaules fort larges pour une femme, enfin l'on aurait pu souhaiter qu'elle eût des traits plus fins eu égard à sa naissance. Allant droit au but, objet de mes désirs, je fus prompt à découvrir son secret. Ce n'était point femme que j'avais devant moi, mais homme qu'on avait grimé pour faire croire à une femme. Sans doute ses parents ne souhaitaient pas qu'il existât de cadet dans leur famille, aussi avaient-ils fait disparaître son sexe avec cette supercherie. Quelque peu surpris, mais non pas dégoûté, je décidai de ne pas gâcher un bonheur auquel je m'étais préparé. Mon plaisir une fois satisfait, il fallut bien penser à mon devoir, et me séparer de Camille qui manifestement ne pourrait jamais donner naissance à un petit duc.

La troisième, Justine, était issue d'une maison autrefois illustre, mais si dispendieuse par le passé qu'elle était désormais traînée dans la boue. Je la rencontrai au Bois de Vincennes, où je m'étais rendu avec le plus beau de mes attelages. Elle était délicieuse, d'une taille parfaite, avec des cheveux blonds d'une douceur infinie, de petits yeux où éclatait le désir, et surtout une gorge splendide. Elle monta sans pudeur dans mon attelage et enleva sa robe avec une célérité telle que j'avais à peine eu le temps de me découvrir moi-même. Par trois fois je lui rendis hommage, sans qu'elle soit fâchée d'une telle ardeur. Sa matrice fut d'une tempérance extrême, et elle ne me repoussa pas sèchement ainsi qu'il m'était toujours arrivé dans ma jeunesse, parvenu au-delà du seuil du second plaisir. Je sus donc qu'elle était digne de devenir ma femme et d'appartenir à la maison de la Trémoille, autrefois dit Trimouille, c'est-à-dire, qui trois fois mouille.

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