mercredi 15 octobre 2008

La poudre aux yeux, ou l'ultime faveur.


La gloire de mon nom se confond avec son passé. Je jette mon regard par-dessus les siècles, et j'y vois la lente agonie d'un sang héroïque. Je sais que je suis une fin de race. Je ne fuis pas mon destin : je me plonge dans la décadence et révère avec mélancolie les honneurs éteints. Désormais les gueux m'entourent, se pressent contre moi, mêlent leur souffle au mien : qui peut encore dire ce qui me sépare d'eux ? A force de les côtoyer, je leur ressemble. Ma vanité s'étouffe.

Je charrie le poids des siècles passés. Ils se rappellent à moi de toutes les manières. Ils me troublent et dévient mes actes.

J'ai reçu hier soir une jeune amie italienne, Angela, Marquise de Castel Gandolfo. La finesse de sa taille, la blancheur de sa gorge, l'exquis rose de ses joues, tout cela allié à une parure de la plus grande magnificence, ont promptement fait de moi son humble serviteur. Les Italiennes ont du tempérament, loin de la rigueur et sévérité des Françaises, que j'ai maintes fois éprouvées, et portent en elles une puissance qui leur fait emplir l'espace d'un seul coup d'oeil. Lorsqu'elle parut, il n'y eut plus qu'elle, et pour la saisir, il ne pouvait y avoir que moi. Le regard méditerranéen fait en effet croire à chaque homme qu'il en est l'objet. Cette illusion ne m'a pas épargné.

Fort heureusement, elle ne fut guère farouche, et l'entreprendre fut assez aisé. Ma auguste mine n'y fut sans doute pas pour rien, tout comme mon habillement, qui ne faisait mentir aucune partie de mon corps. D'une force incomparable quelques instants au paravant, dans mes bras elle ne fut plus que douceur et lascivité. Je l'amenai dans quelque alcôve de mes appartements et commençai à la déshabiller savamment. Je vis paraître son cou, puis surgit sa nuque, ensuite se déploya un dos semblable à l'albâtre, enfin elle ne me refusa pas la vue de son séant.

Et là, les siècles m'engloutirent.

Seul le XVIIIè a su envelopper la femme d'une atmosphère vicieuse, contournant les meubles sous la forme de ses charmes, imitant les contractions de ses plaisirs, les volutes de ses spasmes, avec les ondulations, les tortillements du bois et du cuivre, épiçant la langueur sucrée de la blonde, par son décor vif et clair, atténuant le goût salé de la brune, par des tapisseries aux tons douceâtres, aqueux, presque insipides.
Et surtout, seul ce siècle a déclaré l'identité entre la joue et la croupe ; il les a fait toutes deux roses, au milieu de la blanche douceur. On poudre demi-lunes et pommettes.


Face à cette découverte, qui une nouvelle fois me faisait traverser les âges, me rappelant l'immense fortune amoureuse de ma noble famille, je restai un instant interdit. Puis je décidai de prendre mon plaisir comme je l'avais entendu.

Je battis des paupières. Je clignai des yeux.

Ce plaisir délicieux, cette faveur ultime, laquelle elle est, tu l'auras sans peine deviné, ô
lecteur, hypocrite lecteur...

lundi 6 octobre 2008

Où l'on comprendra pourquoi je passe mes nuits dans des bouges


Cela commença dès les premières nuits de notre union. Tôt après notre rencontre où, séduite par son port altier, enthousiasmée par la magnificience de son attelage et transportée par sa vigueur physique, je me résolus aussitôt à faire miens son nom et son lit, je m'offrai à Donatien en tous sens, lui faisant apercevoir des plaisirs nouveaux, scandaleux, délicieux. Eperdu de jouissance mais fort peu reconnaissant, il ne pensa plus qu'à se mettre en quête de corps mieux armés.

L'ingrat ! Ma gorge ni ma moniche ne lui suffisaient plus. Donatien me délaissait et bien vite, je craignis que la jeune Duchesse de la Trémoille ne s'assèche. Cessant d'être fidèle au lit conjugal, mais redoutant de quitter la demeure, j'entamai alors une exploration minutieuse des qualités de nos domestiques qui me mena droit dans les jupes d'Elsa, soubrette farouche, mais dont la croupe n'avait rien à envier à nos meilleures juments. Il n'en fallu pas plus pour que naissent en moi d'inavouables desseins que je ne tardai pas à réaliser.

vendredi 3 octobre 2008

Prendre femme. Où l'on voit l'union entre l'être et le signifiant.


Je suis un piètre auteur. Aucune chose de ce monde ne m'est inconnue, j'ai plus de savoir qu'on n'en a oncques imaginé. Et pourtant, je n'en puis rien faire. Les connexions entre les choses m'échappent. Je ne puis lier l'une à l'autre ; un flux d'idées et de mots traverse mon esprit sans qu'il puisse les ordonner. Aussi dois-je à l'avance récuser toute vanité et avouer que le récit de mes actes sera à l'image de mon intelligence. Nul temps, nulle chronologie, il n'y aura que des instants.


Je sais qu'il tarde au lecteur de connaître ma femme, la Duchesse de la Trémoille. Je ne sais dans quel bouge immonde elle erre ces jours-ci. Ne pouvant supporter la voir faillir plus longtemps à son devoir, je vais m'en acquitter à sa place. Sans doute le regrettera-t-elle.

Parvenu à l'âge de vingt ans, il m'a fallu chercher femme. Mon père était en effet vieillissant et ma mère ne pouvait lui survivre sans être entourée d'une nouvelle famille. J'avais déjà maintes fois goûté la chair féminine, et je l'adorais. Jamais repu de ces tendres extases, il fallait que je trouvasse femme digne de contenter mes ardeurs insoumises.

L'on me parla de trois jeunes filles, de naissances inégales mais toutes pleines de charmes exquis, qui pourraient convenir à mes exigences impérieuses. L'on n'achète pas un pâté sans connaître son goût, et ainsi devrait-il en être pour les femmes. Il me plut donc de les goûter chacune avant de me prononcer.

La première s'appelait Marguerite, de naissance un peu basse mais tout de même acceptable. Son père était comte, et riche au demeurant. Je lui rendis visite un soir chez ses parents, à l'occasion d'un dîner. Placé à table à côté d'elle, comme un éventuel gendre qu'il faut chérir, je pus me livrer à une inspection presque totale. La cuisse était bien rose, tendre, et la motte délicieusement taillée. Seulement il apparut que cette demoiselle, que j'aimais déjà à l'excès, fut particulièrement farouche lorsque le tour de ses seins fut venu. Peut-être était-ce dû à la proximité de ces reliefs avec les regards des conviés. Outré que l'on puisse me refuser l'accès à de telles merveilles (car elle était vêtue de manière à promettre beaucoup), je considérai cette jeune fille indigne de moi.

La seconde se prénommait Camille. Sa naissance était des plus hautes. Qu'on en juge : son père était duc, bien que d'un rang dans la préséance tout à fait inférieur au mien. Je tâchai d'en obtenir un rendez-vous secret, et un des mes valets, Aulne du Bourdon, emporta bien vite l'affaire, tant la renommée de ma beauté était grande. Cette jeune fille se rendit donc dans mes appartements, par une porte dérobée dont seul mon valet, outre moi-même, connaissait l'existence. Je fus quelque peu choqué lorsque je vis l'apparence de Camille. Elle était fort grande, elle avait les épaules fort larges pour une femme, enfin l'on aurait pu souhaiter qu'elle eût des traits plus fins eu égard à sa naissance. Allant droit au but, objet de mes désirs, je fus prompt à découvrir son secret. Ce n'était point femme que j'avais devant moi, mais homme qu'on avait grimé pour faire croire à une femme. Sans doute ses parents ne souhaitaient pas qu'il existât de cadet dans leur famille, aussi avaient-ils fait disparaître son sexe avec cette supercherie. Quelque peu surpris, mais non pas dégoûté, je décidai de ne pas gâcher un bonheur auquel je m'étais préparé. Mon plaisir une fois satisfait, il fallut bien penser à mon devoir, et me séparer de Camille qui manifestement ne pourrait jamais donner naissance à un petit duc.

La troisième, Justine, était issue d'une maison autrefois illustre, mais si dispendieuse par le passé qu'elle était désormais traînée dans la boue. Je la rencontrai au Bois de Vincennes, où je m'étais rendu avec le plus beau de mes attelages. Elle était délicieuse, d'une taille parfaite, avec des cheveux blonds d'une douceur infinie, de petits yeux où éclatait le désir, et surtout une gorge splendide. Elle monta sans pudeur dans mon attelage et enleva sa robe avec une célérité telle que j'avais à peine eu le temps de me découvrir moi-même. Par trois fois je lui rendis hommage, sans qu'elle soit fâchée d'une telle ardeur. Sa matrice fut d'une tempérance extrême, et elle ne me repoussa pas sèchement ainsi qu'il m'était toujours arrivé dans ma jeunesse, parvenu au-delà du seuil du second plaisir. Je sus donc qu'elle était digne de devenir ma femme et d'appartenir à la maison de la Trémoille, autrefois dit Trimouille, c'est-à-dire, qui trois fois mouille.

mercredi 1 octobre 2008

Courte histoire de ma vie, pour servir à l'instruction des masses


Je suis né dans la nuit du 10 au 11 octobre 1984, de mon père, Claude, duc de la Trémoille et pair de France, et de ma mère, Charlotte de L'Aubespine, unique de ce lit. La nuit était froide et l'accueil du monde ne le fut pas moins. Le visage convulsé de ma mère, l'air compassé de mon père m'ont fait aussitôt comprendre que ma petite enfance ne serait pas uniquement faite de joies et de douceurs.


Je grandis tel qu'on me l'ordonna jusqu'à mes quinze ans. Mon précepteur était un homme d'une grande érudition mais d'une intelligence un peu terne. Aussi dus-je pour lui plaire entreprendre de lui ressembler. Je lus tous les livres et ma chair était triste. Brusquement cela changea, comme si les démons s'étaient ligués pour faire mentir mon destin annoncé.

Ce que je vais dire est bien peu catholique, et il y a encore dix ans, jamais telle parole n'aurait échappé de ma bouche. Mais cette personne n'est plus. Désormais je ne crains pas d'affirmer que ces démons, en me pervertissant à tout jamais, me libérèrent des carcans qu'on avait pieusement tâché de lier autour de mon âme.

Les livres que j'avais lus, parfois en cachette, par quelque instinct précoce du sexe, furent le substrat de ma libération. Toute cette imagination contenue, une fois délivrée, me livra dans la débauche la plus totale.

C'est cette transformation, dont on verra les suites, que j'entreprends de conter ici.

S'il est permis d'amuser les gueux


Depuis longtemps nous sommes arrivés à Paris où grésillait autour de nous la poêle des amours scandaleux.


Nous nous sommes rués dans l'amour. Nous avons voulu être proies.

Si nous faisons l'effort de nous rappeler les horreurs par lesquelles nous sommes passés, et la corruption physique de nos âmes, ce n'est pas parce que nous les aimons, mais parce que nous t'aimons, ô humanité.

Il nous semble que c'est rendre un service aux moeurs que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises, pour corrompre ceux qui en ont de bonnes.

Puissent nos mémoires édifier vos âmes.