vendredi 21 août 2009

Les ombres errantes


Ma vie est un tourbillon. L'ordre des choses m'entraîne malgré moi. Je suis pris dans dans des faisceaux d'évènements dont les flux me sont inintelligibles. Tout bouge, se craquèle, s'enfuit sans que je puisse dire qui je suis. Il n'est plus guère de moment où je sois suffisamment maître de moi pour regarder cette vie et la coucher sur le papier. Je ne suis qu'ombre errante.



Le libertinage n'existe que dans le mouvement. Il est la circulation même. De corps en corps, j'éprouve des transports infinis. Mais une fois la marche enclenchée, il n'est plus possible de la prendre à rebours. Mes mémoires sont condamnées à s'étioler à mesure que mes plaisirs s'étendent.

Est-ce du Duc de Montmorency que je tiens ces souvenirs de plaisirs virils ? Me les aurait-il prodigués lors qu'il m'hébergea en son fief de Toulouse, il y a déjà bien longtemps ? Est-ce bien lui, cet ami si cher qu'il m'offrit même de partager sa chambre ?

Un instant. Cette suave douceur qui emplit mon être dès que je ferme les yeux, la dois-je plutôt à ce jeune israélite, Emmanuel de Rothschild, qui me reçut si magistralement, entre jeunes esclaves et jaunes pépites ?

Ce délice que j'imagine masculin n'est-il pas en fait la marque d'une de mes maîtresses les plus tumultueuses, qui malgré l'infériorité de son sexe se serait élevée à des tempêtes de chair à faire pâlir le dieu des mers ? Cette rageuse et abondante écume, dont l'apparente violence n'a d'égale que l'infinie douceur qu'on y éprouve lorsqu'on s'y abandonne, ne serait-elle pas celle de ma maudite épouse, la Duchesse de la Trémoïlle ?

J'erre inlassablement entre toutes ces bribes et peine à me rappeler qui fut quoi dans ma vie. C'est toujours le même principe qui anime ces souvenirs, et avant eux les actes dont ils sont la trace, et ainsi je ne p
uis plus les distinguer qu'avec grand peine, perdus qu'ils sont à l'intérieur de ce mouvement qui les dépasse tous, la soif de plaisir. Ma mémoire n'est plus cette figure quasi géométrique, aux subdivisions égales et ordonnées ; à la place s'est substituée une simple ligne, qui malgré sa supposée limpidité est en réalité d'une complexité sans bornes. Ma mémoire se perd dans un flux sans interruption, où chaque souvenir s'entremêle avec les autres, sans que je puisse dire quand il commence ou quand il finit.

N'est-ce pas finalement ce que je recherchais ? Cette droite sans début ni fin, tranchante comme un glaive dans sa plénitude, n'est-elle pas l'objectivation de ce furieux besoin qui me lance à chaque pas, la possession des corps ? Dans ce plein où toute différence est anéantie, trouvé-je finalement mon compte ? En voulant réduire tout corps au même, en le faisant mien, n'ai-je pas tissé de moi-même mon propre carcan ? Tout se ressemble, et rien ne m'émeut. Tout me navre.


1 commentaire:

Duchesse de Vestale (vivi) a dit…

N'existe-t-il pas des gravures et/ou peintures illustrant les errances de ton esprit? Cela aiderait mon imagination à prendre son envol...