mercredi 2 septembre 2009

Boire à la source


Sans doute, Duc, me croyiez vous coeur digne d'être formé. Mais, pour ne pas déployer en vain d'aussi grands talents, pour en obtenir le succès que vous vous en promettiez, il fallait auparavant accompagner votre jeune novice avec plus de soin. Entrée dans votre cercle, où plaisirs et forfaits se mêlaient, où punition et humiliation précédaient la satisfaction, je m'étais efforcée de discerner la vérité dans vos paroles, mais tout s'embrouillait et je ne m'y retrouvais plus. Je confondais si maladroitement le regard de possession avec celui de l'amour, les réprimandes avec les éloges, que bien vite, loin de concourir à votre célébrité, ma conduite vous fit tort.


Quelques maigres succès, de viles soubrettes, des juments parfois, ne suffisaient pas à me rendre digne d'une race telle que la votre. Mon consentement au plaisir, ma docilité, ma mièvrerie, eurent tôt fait de vous irriter : votre vanité ne pouvait trouver à se nourrir dans cette source trop joyeusement, trop innocemment abondante. J'offrais à tous ce que vous aviez cru découvrir par vos mérites miraculeux. Votre âme énervée trépignait mais votre passion pour moi tenait à l'obsession.

Oh ! avec toute autre femme, vous auriez bien vite été vengé ! Vous auriez surpassé aisément les désagréments causés. Votre courroux, mué en rage, eût été tel, que le couvent aurait fait, pour cette pauvre femme, une situation enviable. Las ! quelque chose en vous résistait, vous empêchait de déchaîner sur moi vos desseins diaboliques. Vous étiez devenu l'esclave de passions jusqu'alors inconnues, aussi mystérieuses que l'éclat soudain qui chatouillait la main aventureuse mais peu avertie, qui s'approchait de moi.

Il était trop tard alors, pour vous rappeler cette sentence : "Jamais vous n'êtes ni l’Amant ni l’ami d’une femme; mais toujours son tyran ou son esclave."